Moins de 18 ans
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Ary666 | « Vous serez comme des dieux » | 0 | 18/09/12 à 16:54 |
Voilà quelques jours qu'un tourment ne cesse de me tracasser. D'où vient-il ? Je le définirai ainsi : la conscience névrotique de l'absurdité de l'existence, l'impossible harmonisation des contraires humains, la désincarnation de notre propre vie. L'absence d'un Idéal, en fin de compte. Certaines personnes plus terre-à-terre nommeraient cet égarement manque de confiance. Peut-être bien, oui. Mais je crois que le problème est plus profond que cela.
Chaque chose de la vie me porte à la problématique. Je suis dans une perspective où il faudrait tout juger pour déterminer le bien du mal, le beau du laid, le vrai du faux. Comme si chaque phénomène, chaque évènement de la vie devait être résolu comme un problème philosophique, voire mathématique. Drôle de chose.
Mais raisonner ainsi, de façon presque maniaque, ne mène qu'à la folie. Vous vous déconnectez radicalement de la vie dans ce qu'elle a de plus simple, de plus savoureux, de plus beau. Prendre les choses telles qu'elles sont, sans émettre de jugement, sans les imaginer autrement que comme elles sont. Je crois que c'est un des buts de la littérature. Purger nos passions en acceptant le monde tel qu'il l'est.
Parce qu'il n'y a pas d'Idéal absolu, il est vain de croire que le monde pourra danser sur une même danse. J'émets une hypothèse, une idée que je crois bonne, juste, belle ; et voilà qu'en moins de quelques minutes, quelqu'un peut contredire entièrement cette idée. Alors, forcément, on se met à douter. Et si, et si, et si... Et si j'avais tord ? Et si je fondais ma vie sur une erreur ?
Ah ! Mais quelle folie que de penser ainsi ! Comment vivre dans ces flux contradictoires, si à tort ou à raison, nous ne nous accrochons pas à un idéal ? Cet idéal qui est le nôtre, et seulement le nôtre – n'est-ce pas lui qui nous guide vers le Souverain Bien ?
Cassez les idéaux de fond en comble, et vous vous retrouverez bien démuni. Éternellement sceptique, éternellement dans le doute. A quoi s'accrocher ? Au moment même où j'écris ce texte, mon esprit est torturé : je m'interroge sur sa vérité, sur sa beauté, sur sa justesse ; je me dis qu'il pourrait être blâmé, mal aimé, haï même – et cela me cause du trouble. Ah, pourtant ! Je refuse tant le silence ! Être silencieux, n'est-ce pas mourir un peu ? Si je me tais, n'osant dire mes troubles et mes croyances de peur d'être incomprise, et de peur de n'être au goût de ceux que j'oserai nommer les plus grands hommes (mais ce jugement n'aurait finalement aucune valeur réelle puisqu'il n'y a pas, aux dernières nouvelles, de Vérité Absolue), que me restera t-il ? La fuite, l'enfouissement, la cachette ? Je me cacherai, je me terrerai dans un trou au fin fond du Périgord ; et puis quoi ? Je louerai Dieu ? Bah ! Mais qui est Dieu ? Il est Dieu. Il est Dieu, dit-on. Mais qui est « on » ? Qui sont-ils ? Les croyants, les errants, les impies ? Que savent-ils, d'où viennent-ils ? Je me complairai dans la folie – à moins que j'eusse été dans la sagesse ?
Faiblesse d'un tel homme raisonnant ainsi ; que Dieu lui fasse miséricorde !
Mon chemin croisa la route d'un médium. Je le cru d'abord fou ; il chassait les fantômes, ce drôle ! Et puis, finalement, je l'écoutai. Il me conta son histoire ; il avait publié quelques livres aux Etats-Unis et me proposa son aide pour une éventuelle publication. Je l'écoutai plus attentivement encore. Il était facteur le jour, et le reste de son temps, chasseur de fantôme.
Il les avait vus. Il les avait vraiment vus. Les esprits errants sur Terre. Il me dit que le Temps n'existait pas ; que des mondes parallèles existaient au moment même où nous étions en train de vivre. Il avait vu, il avait ressenti tout ça. Je me mis à accorder du crédit à cette parole.
« Nous faisons parti d'un Tout », me dit-il. Trois hommes peuplent cette Terre : les vampires, les rampants, les éveillés. J'avais toujours eu des croyances mystiques, et ces questions me revenaient progressivement à l'esprit. Peut-on nommer métaphysique ce que certains nomment mystique ?
Je lui demandai ce qu'il en était quant à l'existence d'un dieu. Une entité, paraît-il, régit le monde et son harmonie. Il n'est pas le Dieu des chrétiens, ni d'aucuns monothéismes. Il est une entité, une énergie – plaisons-nous à le nommer Dieu. Nos âmes sont immortelles, elles vont de corps en corps à travers les siècles, à travers les mondes. « On n'a qu'une vie », répétons-nous à tort et à travers – et qu'en savons-nous vraiment ?
Notre âme – j'entends par là notre personnalité, notre intériorité la plus profonde – est selon certains immortels. Mon corps n'a qu'une vie, mais mon âme en a plusieurs.
Que savent de plus que nous ces braves gens sur les vérités du monde ? Ils ont l'Expérience. C'est cela, à mon avis, qui est traumatisant dans ces expériences spirituelles – qu'il s'agisse de mort rapprochée, de coma, de « rencontre personnelle » avec Dieu ou de toute autre expérience mystique – ces personnes ont vécu quelque chose de réel, de sensible. Comment nier l'indémontrable ?
Je vins à juger sage cet homme que je jugeai fou. Ces questions métaphysiques, auxquelles je n'osais plus toucher de peur de m'y perdre, s'installèrent de nouveau dans mon esprit. Je me pensais fille d'Eternité. Dans les miroirs, je ne voyais pas mon reflet ; simplement un corps que j'habitais un temps, le temps d'un souffle, d'un simple souffle. Qu'est-ce qu'une vie, finalement ? Il y en a tant ! Qu'est-ce qu'« Ariane » signifie ? Si peu de choses ! Je vis alors en moi un être métaphysique, un esprit, un cœur errant – la vie me parut un non-sens. J'eus du chagrin, oui, un certain chagrin, un chagrin étrange ; latent, vif et fourbe. Je ne croyais pas en Dieu, je ne l'avais pas rencontré, je n'en avais pas fait l'expérience ; quelle valeur prenait alors cet état d'esprit nihiliste ? Il ne me mènerait ni à la félicité, ni à la grâce – simplement au néant !
Je me ressaisis. J'étais Ariane, une jeune fille de 19 ans, étudiante en Lettres Modernes. Il n'y eut que ça qui comptait. J'étais rêveuse, trop rêveuse ; cet état d'esprit me jouais bien des tours. J'encourageai mon pragmatisme. Nous n'avons qu'une vie, seules sont vraies les vérités scientifiques. La littérature est bien folle ; elle voit des choses qui n'existent pas ! Qu'ils sont bien fous, ces littéraires, et ces mystiques, et ces métaphysiciens !
Je m'accrochais au mat. Les compagnons d'Ulysse n'auraient pas fait meilleurs nœuds. La vie passa : j'humais les fleurs du jardin, je me délectais des cafés crème et des rencontres étranges. Mes pensées s'orientaient sur des choses simples, limpides, non sujette à la contradiction. Ou plutôt me contentais-je de ne pas voir les contradictions qu'elles exaltaient.
Les sirènes crient toujours trop fort, les chimères ont toujours raison des rêveurs, l'imagination perd toujours les sages. Mon regard neuf déclina. Je suis Ariane, certes, mais que faire de cette vie ? Je voyais le monde : il était disharmonieux. Le dessein de Dieu avait bien déchu. Je cru raisonnable d'agir pour le bien, pour ce que j'osais parfois écrire Le Bien. Oui, voilà un but honorable : agir pour le bien, pour l'harmonie du monde ! Je me vis en sauveur. Ma candeur me poussait parfois à des raisonnements naïfs. Mais une chose me paraissait certaine : l'Amour seul devait dominer le monde.
Je considérai ce propos, en fit un de mes cris ; je me revendiquai du monde des Lettres et de l'écriture – dans mes nuits de confiance je me susurrais que j'appartenais aux Vrais, aux Beaux, aux Justes, aux hommes forts, aux hommes bons ! Je proclamai l'Amour comme le seul combat valable – Amour du monde, des êtres humains, des animaux, des plantes même ! Le progrès humain, le développement par l'amour et le respect de l'unicité.
Je me promenai dans le monde en demandant aux hommes et aux femmes ce qu'ils entendaient par l'Amour ; comment ils percevaient le monde, leur propre existence, et comment ils rêveraient de voir ces deux choses. Les réponses divergèrent d'une personne à une autre. J'applaudis certaines réponses, j'en blâmai d'autres. Je ne m'en étonnai pas, mais je compris alors que l'Idéal qui était le mien n'était pas celui de tous.
Personne n'avaient la même définition des mots, personne ne semblaient parler le même langage ; quel enfer ! Je parlai de l'amour, on me parla de la tendresse ; je parlai du bonheur, on me parla du confort ; je parlai de la passion, on me parla du goût !
J'en voulu à Dieu, ce fauteur de trouble : c'était lui qui avait chassé l'Homme de l'Eden, c'était lui qui avait causé les tourments de Caïn, et c'était encore lui qui avait dispersé le langage à Babel ! Vous serez comme des dieux, osa t-il dire, le fourbe !
Je voulus me fâcher, expliquer aux gens ce qu'était l'amour, le bonheur, la passion ; leur ouvrir les yeux, qu'ils comprennent ce qu'est le Beau, qu'ils se tournent vers ce qui est le Vrai ! Je me tournai vers la philosophie, et y vis tout à la fois un réconfort et un tourment : le réconfort d'être profondément comprise de certains hommes, le tourment de constater que jamais ces hommes ne purent se mettre d'accord.
Je voulus les hommes à mon image, et je pleurai à cette idée. J'aimais les êtres humains, j'aimais l'Homme dans ses contradictions, dans sa grandeur comme dans sa misère – mais comme sa misère me causa du chagrin !
Je ne me fâchai pas, jugeant cela inutile et mauvais ; moi qui me voulus grande, je me sentis infiniment petite et infiniment misérable. Je pardonnai à Dieu et nous fîmes la paix.
Mais ma solitude était grande. Je parlais d'une chose, on me parlait d'une autre. A quoi sert le langage s'il ne mène à rien ? Pourquoi les gens parlent de choses si laides et si vaines ?
Je tournai en rond dans un bocal, contemplant la magnifique vanité de nos existences. Je me pensais sage, et voilà maintenant que je me croyais folle. Je voulus me terrer dans les bois, m'enfuir dans les hauteurs des montagnes pour regarder l'Homme d'un peu plus haut. Non que je me cru supérieure, bien au contraire ! Je pleurais sur ma propre misère.
On me conseilla d'écrire pour éponger mon tourment, pour revenir à la réalité matérielle ; je m'appelle Ariane j'ai 19 ans j'étudie les Lettres. Mais tout me bouleversait, toute réalité me demandait « pourquoi ? », toute chose me portait à l'angoisse. Les mots ne vinrent pas : ils n'étaient pas assez justes, pas assez beaux, pas assez entiers. Je m'en tenais au silence, dans la peur des autres et de moi-même.
Il y eut un soir, il y eut un matin. Et un matin, quelque chose se passa. Je me souvins, je me rappelai d'avoir dansé un jour avec une jeune fille et d'avoir aimé ce moment ; je me souvins de mes écoles, de l'amour que je leur portais ; je me souvins de Margaux et de Guillaume, je me souvins de mes voyages, de l'aventure, de mes rêves d'enfant. Je les trouvai beaux, si beaux ! Je me rappelai de l'Amour, de l'écriture, de la lutte, du chemin parcouru jusqu'ici. Je me souvins de ma vie ; Ariane, 19 ans, étudiante en Lettres. Je la trouvai belle. Je la trouvai si belle que je voulus l'étendre encore, l'enrichir ; je voulus lui donner encore plus de puissance, de saveur, de métamorphoses ! Je me souvins que j'étais Homme ; ni Dieu, ni surhomme, mais simplement Homme. Je me mis à sourire sans cet épouvantable sentiment d'étrangeté ; cette conviction – nulle certitude – unique au cœur : j'œuvrerai pour le Bien, pour ce que mes yeux jugent comme Le Bien ; je me tournerai vers ce que mon cœur juge comme Le Bonheur ; et je m'enivrerai de ce que mon âme estime comme La Beauté.
Je ferai vivre mon monde, je donnerai au Monde la petitesse de mon monde ; et qu'importe que l'on me juge folle, immorale ou sotte ? J'accomplirai ce que je suis, ici et maintenant, dans toute la grandeur de ce que m'apporte la Terre mère et ses habitants ! J'atteindrai mon propre Idéal ; qu'importe que ce ne fût celui des autres, et du monde entier : nous ne possédons que nous-mêmes. Je dirai aux gens que je croiserai : voilà ce que je crois, voilà ce que je crois être le Bien, le Beau, le Juste ! Libre à vous de me suivre ou non. Suivez-moi et je vous aimerais ; ne me suivez pas et je vous aimerais aussi, car vous vous suivez dans ce que vous êtes, et sans doute fut-ce le dessein de Dieu.