L'Arbre/4

Et voilà la première partie du deuxième chapitre =)
enjoy ! ^^




Chapitre II
Steng


Ce soir-là, tout autour d’Aloïs respirait la gaieté ; tous les Paha Ivon sans exception, attablés face au grand feu qui se flamboyait en crépitant au centre de la Grand Place, bavardaient avec animation, une chope à la main. Certains même entonnaient de joyeux refrains que tout le monde reprenait en chœur. L’absence totale d’alcool empêchait l’ambiance bon enfant de la fête de tourner en une ébriété totale qui n’aurait fait que gâcher la soirée. Embroché et placé au cœur ardent des flammes, le mufus cuisait, libérant un délicieux fumet de viande grillée. Le repas n’avait pas encore commencé, et pourtant personne ne paraissait affamé, le cri de la joie l’ayant emporté sur la plainte de l’estomac. De toute façon, des gamelles contenant quelques fougelles cuisinées étaient posées, ça et là, histoire de calmer la faim de certains.
Pour une fois depuis des mois, la joie de vivre se lisait sur les visages souriants des Paha Ivon. Il était vrai que, avec l’apparition de l’Octasphe et toute la ribambelle de malheurs qui l’avait suivie, ils n’avaient pas vraiment eu l’occasion de s’amuser. Alors non, Aloïs n’était pas franchement emballée à l’idée de refroidir cette ambiance chaleureuse à coups de nouvelles glaciales. C’est vraiment pas le moment pour leur annoncer que ce satané l’Octasphe a encore avancé…, songeait-elle sans cesse. Ils ont tant souffert, ces derniers temps… Je n’ai pas le droit de gâcher leur bonheur….
D’autant plus que la fête qui se déroulait autour d’elle avait été organisée en son honneur, pour la féliciter d’avoir réussi à débusquer un mufus, ce qui, en cette période de famine que traversait les Paha Ivon, faisait office de miracle. Quand elle était rentrée au village, essoufflée par sa course nocturne et ruisselante de sueur, juste avant le début de la fête, elle avait même été acclamée par les siens. Emue par cette soudaine ovation, elle n’avait pu cacher son bonheur et avait quelques larmes de joie avaient coulé le long de ses joues. Et là, au beau milieu d’un banquet préparé en son honneur, elle était la seule à ne pas se joindre à la gaieté générale, trop occupée qu’elle était à broyer du noir. Se rendant soudain compte de la bêtise de son comportement, elle s’efforça de ne plus penser à l’Octasphe, et de s’amuser comme elle l’aurait fait d’habitude. Et là, chantant, rigolant, bavardant, buvant, grignotant, elle se sentit revivre.

Oui, aucun doute, le village des Paha Ivon était bien là. Sans un bruit, il emprunta le pont d’entrée. Sous ses pieds tuméfiés, les lattes de bois pourrissaient en quelques secondes, puis tombait en poussière. L’Octasphe qui recouvrait la totalité de son corps dégageait des volutes de gaz nauséabonds qui empestaient l’air, le rendant suffocant et toxique. Mais lui, insensible à tout cela, avançait inexorablement vers la Place Centrale.

Maintenant, tout le monde avait dans son assiette une énorme tranche de mufus. Malgré la quantité incroyable de viande que l’on venait d’extraire à l’animal, il lui restait encore la quasi-totalité de sa chair – c’était dire s’il était grand – . Mais, mis à part sa taille, c’était son goût qui ravissait les Paha Ivon. Ils ne mangèrent pas, ce soir-là ; ils savourèrent. Et en silence, s’il vous plaît. Et, une expression béate sur chaque sourire, un éclat d’intense gourmandise dans chaque œil, et de la nourriture délicieuse dans chaque estomac, on se remit des terribles mois de famine précédemment affrontés.

Il était tout près maintenant, au point qu’il pouvait entendre le feu crépiter. Eux, par contre, ne disaient rien, muets comme des carpes. Résolu, il continua d’avancer, de ponts suspendus en échelles de cordes, pourrissant tout derrière lui, en direction de la Grand Place.

Chacun finit son copieux plat, remerciant de temps en temps Aloïs d’un coup d’œil gratifiant. On proposa une deuxième tournée, mais tout le monde refusa poliment. Non seulement tous les Paha Ivon étaient, pour la première fois depuis plusieurs mois, repus au point d’en avoir mal au ventre, mais en plus il ne fallait pas gaspiller de la si bonne nourriture ; il faudrait la manger avec parcimonie. Puis le brouhaha joyeux si spécifique aux fêtes Paha Ivon reprit de plus belle. Et, comme gaieté et inquiétude ne peuvent cohabiter, Aloïs ne pensait plus alors aux plaies noires qui suintaient sous ses gants de cuir.
Soudain, un cri terrifié s’éleva :
- Là !
Le Paha Ivon qui venait de hurler pointait son doigt tremblant vers l’entrée du village. Tout le monde tourna la tête. Des murmures horrifiés se firent aussitôt entendre. Là, à quelques mètres à peine, éclairé par la lune qui parvenait à peine à percer la végétation drue de l’Arbre pour y dispenser son éclat blafard, se trouvait un monstre recouvert, de la tête aux pieds, d’Octasphe.
Un crâne visqueux, au milieu duquel deux yeux de braise dardaient les Paha Ivon avec insistance, suivi d’un torse noueux, tordu, monstrueux, de part et d’autre duquel pendaient deux espèces de salsifis répugnants et noirs – des bras, sans doute. Le tout agglutiné à deux jambes flasques et fangeuses à l’image de l’aberration terrifiante qu’elles supportaient tant bien que mal.
Mais ce n’était pas tant l’apparence répugnante du monstre que l’Octasphe qui le recouvrait entièrement qui terrorisait les Paha Ivon. C’était comme si la Mort en personne venait leur rendre une petite visite. De quoi avoir une sacrée frousse.
Cependant, bien que certains, enfants pour la plupart, réfugiés sous les tables, tremblaient de tous leurs membres, comme gelés par des rafales glacées d’effroi, d’autres, plus courageux, avaient dégainé épées et poignards d’un air menaçant, prêts à se battre jusqu’à la mort. Aloïs faisait partie de ceux-là. Pour une fois que se tenait devant eux la cause de tous leurs malheurs, il n’allait pas la laisser partir si facilement ! Aveuglés par la rage et la haine, ils bandèrent leurs arcs, y placèrent un carreau et décochèrent, le tout avec une vitesse fulgurante.
En quelques secondes seulement, la créature fut criblée d’une cinquantaine de flèches. Certaines rebondirent contre la surface molle de son buste sans s’y enfoncer, mais la plupart la blessèrent, se fichant dans son crâne ou transperçant son corps de part en part. Alors, en un immonde gargouillis d’agonie, le monstre s’effondra sur le dos.
Puis ce fut le silence. Un silence incrédule et perplexe. Quoi, il suffisait de quelques flèches pour se débarrasser de l’Octasphe, cet assassin, ce meurtrier, ce danger mortel pour toute la vie au sein de l’Arbre, ce mal incarné ?
Les Paha Ivon en vinrent à se demander si leur adversaire était vraiment mort, ou s’il cherchait seulement à le leur faire croire. La tension monta d’un cran. Personne n’osait bouger. Comme la situation s’éternisait, Aloïs, rassemblant tout son courage, s’approcha prudemment de la créature, sous les regards tendus des siens. Elle arriva bientôt si près du monstre que les odeurs nauséabondes de charogne et de moisissure qu’il exhalait lui parvinrent. Se bouchant mentalement le nez, elle continua à avancer, se trouvant bientôt au niveau du monstre. Du pus suintant de ses plaies, son sang sombre coulant à gros bouillons, il mourrait à petits feux, s’accrochant désespérément au souffle de vie qui lui restait.
- Il est encore en vie, déclara-t-elle aux siens avec dégoût.
Frissons d’inquiétude dans l’assistance.
- Achève-le, Aloïs !, rugit quelqu’un.
- Avec plaisir…, répondit-elle avec un sourire sadique.
Tu nous as bien fait souffrir, maudit Octasphe…, se dit Aloïs. Tu ne mérites que la mort...
L’elfe recula d’un pas, banda son arc, et visa la face tordue de douleur du monstre. Elle s’apprêtait à décocher sa flèche, quand la créature pointa vers la jeune fille deux yeux suppliants. Aloïs sursauta. Elle dévisagea avec insistance le visage hideux du monstre qui lui faisait face, sentant que quelque chose clochait ; cette figure immonde, recouverte de sang et d’Octasphe, ridée et glabre, visqueuse et immonde, elle était persuadée de la connaître… Concentre-toi… Concentre-toi…
Le visage d’Aloïs se décomposa soudain. Elle venait de comprendre, d’émerger de l’océan de rage folle dans les eaux noires duquel elle se noyait jusqu’à présent. Nageant avec difficulté, elle parvint même à gagner le rivage d’un îlot de lucidité – ce petit bout de terre avait apparemment survécu au raz-de-marée de colère qui s’était déchaîné dans son esprit – . Elle réalisa alors, avec une clarté éblouissante, ce que voulait dire Meï Meï, le vieil aveugle, quand il répétait : “Etre aveugle ne rend pas forcément enragé, mais être enragé rend irrémédiablement aveugle.”. Oui, sur ce coup-là, les Paha Ivon n’avaient rien vu d’autres que leur haine… Si seulement ils avaient un tant soit peu réfléchi avant d’attaquer ! Mais il est bien trop tard, maintenant… , songea amèrement Aloïs.
Elle se retourna vers les siens qui, serrés les uns contre les autres, se demandaient pourquoi elle n’achevait le monstre, et leur expliqua, d’une voix éteinte :
- On… On vient de tuer l’un des nôtres.



A suivre...



{°v°} KoviS {°v°}

3 derniers commentaires sur le poème


MiNirOcK [ le 21-03 à 21:10 ]
incroyable g réusi a tt lire c ki é pour moi un exploi :mrgreen: :twisted: minirock :twisted:
CaroFreeHugs [ le 21-03 à 21:10 ]
oui toujours super
JE CRAQUE [ le 21-03 à 21:09 ]
Toujours génial :) :biz:

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