Fin de soirée au petit matin, un nouveau jour

La soirée se termine quand les jeux de cartes commencent à lasser, que la musique éteinte depuis longtemps s'endort au calme et qu'une crise amoureuse retombe déjà loin, portée vers le premier bus du matin.

"Il faudrait que tu ramènes..."

Trois prénoms s'alignent. Cela m'agace, mais déjà, je sens qu'il faut participer au bon déroulement de la soirée. Philippe s'affaire aux derniers détails et veillera au sommeil de ceux qui resteront.

Nous sortons tous les quatre dans l'air très frais d'une fin de nuit. Dans la voiture, nous échangeons quelques mots sur la soirée : Zoé l'organisatrice qui n'était pas là, la maigre vingtaine de personnes présentes et bientôt l'arrivée et les rues à emprunter. La banalité simule un instant d'amitié heureux. Ils sortent et nous nous saluons. Je reprends la route avec, à ma droite, la jeune fille à déposer. Je la dépose comme on dépose un bijou, une lettre ou une idée. Nous échangeons encore les mêmes mots, la soirée, les personnes, Philippe et Zoé, la route et l'heure de l'aube que nous voyons. Il est 5h30 et je ne sais quels seront nos derniers mots. Je joue à entretenir une conversation avec quelqu'un que je ne reverrai pas. Dans son lotissement, nous nous saluons pourtant avec légèreté. Nous aurions pu nous revoir le jour même, en petit groupe, dans une carte postale où des amis passent du temps au soleil. Cela forme un adieu dans le creux d'une étoile.

Finalement, j'ai gagné en amitié en rendant à leurs lits ceux qui ont fêté. Le trajet du retour m'attend. Dans un quart d'heure, je retrouverai la salle. A ma droite maintenant, la clarté prend vie et noie les lampadaires. Cette jeune fille remplacée par l'aube m'a surpris, et les couleurs maintenant m'étonnent parmi les collines qui ne se prennent pas pour des montagnes. Une houle de haute mer immobile dévoile sa douceur préférée. Un cheveu sur le siège avant droit s'effile déjà dans le souvenir. Je suis un pêcheur solitaire longeant de grandes rives. Une hauteur teinte de vert et de bleu un grand ciel lisse, reflet d’aquarium sans soleil. Des formes arrondies, venant vers moi grises et violettes, roulent leurs étendues. Seul sur la route, je sens qu'une demie seconde me fait hésiter et m'invite à rentrer chez moi : on ne m'attend peut-être pas vraiment. Cette faiblesse due à la fatigue vient me piquer.

Je repense à Zoé dont je ne connais que la voix par téléphone et surtout la volonté d'organiser cette soirée. Il est des êtres moins matériels que d'autres. Hier soir, ou plutôt avant-hier soir, Philippe recevait sous mes yeux un message à 22h59 :

"Salut Philippe, alors comment ça se passe pour demain ??"

L'émerveillement et la niaiserie se mêlaient. Philippe s'étonna de ce message si espacé des quelques autres trop rares. Il était facile pour elle de prendre un air soucieux quand là bas, dans le Sud, rien ne parlait de la soirée. Aucune course dans l’organisation, aucun souffle ne parvenait à sa table tiède. Et que changeait pour nous l'arrivée de ces mots peu utiles ? Dans les préparatifs, il ne nous manquait au fond que sa maison qui abritait denrées alimentaires, vaisselle et couvertures comme un trésor. Philippe sur le poste avancé recevait ici ou là un message.

Mais il semblait aussi que sa volonté, jusqu'au dernier soir de l'organisation, tendait nos volontés. La motivation et le courage traversaient la France entière pour initier nos cœurs. Prisonnière de vacances prolongées pour raisons familiales, Zoé nous arrivait en quelques mots. C'était l'ange des ondes radio. Nous découvrions les nuits d'été qui nous confisquaient sa présence dans les profondeurs du Sud. La France nous parut immense : Zoé derrière les montagnes, bien à l'abri au delà des terres palpables. D'après Philippe, elle était à 1200 kilomètres, elle pouvait se trouver près de Nice. Elle devenait un point géographique qui rayonnait, avant d'être humaine. Malgré la distance, elle était l'âme qui survolait l'action.

J'arrive à la salle et une image me retient encore un instant. Au dessus d'un arbre, le clair de lune renversé tient en équilibre dans le turquoise du matin. Cette fraîcheur est trompeuse et tout à l'heure, le soleil écrasera l'herbe et les toits. Un nuage, un rayon, quelques courbes dans le ciel font la promesse du jour depuis un moment. Le clocher de l'église s'éveille et, sous la lumière de l'aurore, s'anime de rose, de blanc et va sonner six heures. La fuite de la nuit est sur le point de faire basculer l'horizon qui hésite, résiste, puis s'inonde de lumière. Le soleil approche, une seule maison le retient peut-être encore. Sur ce clocher, promontoire de la terre, des vagues de lumière tremblent comme une bouffée d’air déjà chaud. Si ce clocher était liquide, ce serait une cascade, mais cela ressemble à une effervescence silencieuse.

J'entre : quelques personnes déjà allongées parlent doucement dans la pénombre. Dans la salle, on ne voit que le gris des fenêtres. Philippe m'attend, m'indique ma place avec détermination. J'aurais préféré un peu de poésie. Tout semble calibré dans ce petit matin organisé. Mais au bord du sommeil, maintenant allongé sur ma couverture, je vois le plafond qui s'imprime comme un rêve. Et je sens, dans l’intimité du cœur, qu'il y a tout de même de la poésie à s'endormir quand revient le grand jour.

3 derniers commentaires sur le poème


Frosties [ le 04-09 à 00:05 ]
Ça m'emballe pas des masses et ça vient notamment du lyrisme pousser à l'extrême (ça finit par tomber dans la niaiserie un peu). La seule phrase qui m'a vraiment marqué c'est la dernière, je trouve qu'elle sonne bien.
l-arwen [ le 30-08 à 13:37 ]
La soirée se termine quand les jeux de cartes commencent à lasser, que la musique éteinte depuis longtemps s'endort au calme et qu'une crise amoureuse retombe déjà loin, portée vers le premier bus du matin. "Il faudrait que tu ramènes..." Trois prénoms s'alignent. Cela m'agace, mais déjà, je sens qu'il faut participer au bon déroulement de la soirée. Philippe s'affaire aux derniers détails et veillera au sommeil de ceux qui resteront. Nous sortons tous les quatre dans l'air très frais d'une fin de nuit. Dans la voiture, nous échangeons quelques mots sur la soirée : Zoé l'organisatrice qui n'était pas là, la maigre vingtaine de personnes présentes et bientôt l'arrivée et les rues à emprunter. La banalité simule un instant d'amitié heureux. Ils sortent et nous nous saluons. Je reprends la route avec, à ma droite, la jeune fille à déposer. Je la dépose comme on dépose un bijou, une lettre ou une idée. Nous échangeons encore les mêmes mots, la soirée, les personnes, Philippe et Zoé, la route et l'heure de l'aube que nous voyons. Il est 5h30 et je ne sais quels seront nos derniers mots. Je joue à entretenir une conversation avec quelqu'un que je ne reverrai pas. Dans son lotissement, nous nous saluons pourtant avec légèreté. Nous aurions pu nous revoir le jour même, en petit groupe, dans une carte postale où des amis passent du temps au soleil. Cela forme un adieu dans le creux d'une étoile. Finalement, j'ai gagné en amitié en rendant à leurs lits ceux qui ont fêté. Le trajet du retour m'attend. Dans un quart d'heure, je retrouverai la salle. A ma droite maintenant, la clarté prend vie et noie les lampadaires. Cette jeune fille remplacée par l'aube m'a surpris, et les couleurs maintenant m'étonnent parmi les collines qui ne se prennent pas pour des montagnes. Une houle de haute mer immobile dévoile sa douceur préférée. Un cheveu sur le siège avant droit s'effile déjà dans le souvenir. Je suis un pêcheur solitaire longeant de grandes rives. Une hauteur teinte de vert et de bleu un grand ciel lisse, reflet d’aquarium sans soleil. Des formes arrondies, venant vers moi grises et violettes, roulent leurs étendues. Seul sur la route, je sens qu'une demie seconde me fait hésiter et m'invite à rentrer chez moi : on ne m'attend peut-être pas vraiment. Cette faiblesse due à la fatigue vient me piquer. Je repense à Zoé dont je ne connais que la voix par téléphone et surtout la volonté d'organiser cette soirée. Il est des êtres moins matériels que d'autres. Hier soir, ou plutôt avant-hier soir, Philippe recevait sous mes yeux un message à 22h59 : "Salut Philippe, alors comment ça se passe pour demain ??" L'émerveillement et la niaiserie se mêlaient. Philippe s'étonna de ce message si espacé des quelques autres trop rares. Il était facile pour elle de prendre un air soucieux quand là bas, dans le Sud, rien ne parlait de la soirée. Aucune course dans l’organisation, aucun souffle ne parvenait à sa table tiède. Et que changeait pour nous l'arrivée de ces mots peu utiles ? Dans les préparatifs, il ne nous manquait au fond que sa maison qui abritait denrées alimentaires, vaisselle et couvertures comme un trésor. Philippe sur le poste avancé recevait ici ou là un message. Mais il semblait aussi que sa volonté, jusqu'au dernier soir de l'organisation, tendait nos volontés. La motivation et le courage traversaient la France entière pour initier nos cœurs. Prisonnière de vacances prolongées pour raisons familiales, Zoé nous arrivait en quelques mots. C'était l'ange des ondes radio. Nous découvrions les nuits d'été qui nous confisquaient sa présence dans les profondeurs du Sud. La France nous parut immense : Zoé derrière les montagnes, bien à l'abri au delà des terres palpables. D'après Philippe, elle était à 1200 kilomètres, elle pouvait se trouver près de Nice. Elle devenait un point géographique qui rayonnait, avant d'être humaine. Malgré la distance, elle était l'âme qui survolait l'action. J'arrive à la salle et une image me retient encore un instant. Au dessus d'un arbre, le clair de lune renversé tient en équilibre dans le turquoise du matin. Cette fraîcheur est trompeuse et tout à l'heure, le soleil écrasera l'herbe et les toits. Un nuage, un rayon, quelques courbes dans le ciel font la promesse du jour depuis un moment. Le clocher de l'église s'éveille et, sous la lumière de l'aurore, s'anime de rose, de blanc et va sonner six heures. La fuite de la nuit est sur le point de faire basculer l'horizon qui hésite, résiste, puis s'inonde de lumière. Le soleil approche, une seule maison le retient peut-être encore. Sur ce clocher, promontoire de la terre, des vagues de lumière tremblent comme une bouffée d’air déjà chaud. Si ce clocher était liquide, ce serait une cascade, mais cela ressemble à une effervescence silencieuse. J'entre : quelques personnes déjà allongées parlent doucement dans la pénombre. Dans la salle, on ne voit que le gris des fenêtres. Philippe m'attend, m'indique ma place avec détermination. J'aurais préféré un peu de poésie. Tout semble calibré dans ce petit matin organisé. Mais au bord du sommeil, maintenant allongé sur ma couverture, je vois le plafond qui s'imprime comme un rêve. Et je sens, dans l’intimité du cœur, qu'il y a tout de même de la poésie à s'endormir quand revient le grand jour.

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