Eclosion du rêve polaire.

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Ary666 Eclosion du rêve polaire. 2 15/09/12 à 21:00

Il y a longtemps que la Patagonie est entrée dans mon imaginaire. Je ne sais plus à quel moment, à quel âge j'ai commencé à me dire « il faut que j'aille là-bas ». Mais ce jour a existé. Un jour, pas une période. Évidemment, l'idée est venue progressivement, par je ne sais quelles forces et inspirations extérieures ; mais la déclaration, cette déclaration il faut que j'aille là-bas, elle, est venue du jour au lendemain. Un tel voyage n'existait pas la veille, et soudain il vit, il trouve son propre écho dans l'âme. Cet écho qui au fil du temps se fait plus fort, et, devenant matière, s'inscrit dans le champ des possibles. Un rêve naît.

Il faut que j'aille là-bas. Oui. Oui, il faut que j'aille là-bas. Je ne sais pas quand, je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi. Mais je sais qu'il faut que j'y aille. Pourquoi là-bas, pourquoi là-bas et pas ailleurs ? Je ne le sais pas non plus. Sublimes rêves : ils naissent du hasard, d'une impalpable intuition ; et l'on s'y accroche comme à un amant dont on ne connaîtrait que le nom. Patagonie : je ne connais que ton nom mais je t'aime. J'aime ton nom ; sa résonance, sa musicalité, sa consistance. Tout le reste de ma connaissance tient du ouï-dire. On dit que tu es belle, lumineuse ; que tes glaciers brillent au soleil, que tes habitants sont tous des rois et que ton silence se reflète sur les eaux tranquilles.

Paraît-il que l'on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans. Je n'ai jamais été aussi sérieuse que lorsque j'ai déclaré que j'irai un jour en Patagonie. Je ne sais pas pourquoi les gens rient quand on propose une destination qui sort des sentiers battus. Je rêve aussi d'aller en Papouasie, véritablement, et personne ne prend ce projet au sérieux. Pourtant des gens vivent là-bas ; ce n'est pas comme si je parlais d'un endroit dangereux où il n'y ait pas âme qui vive. Je n'ai tiré que ce constat : les gens sont désespérément fous. Fous de ne pas vouloir explorer ces endroits moqués par une trop grande partie des occidentaux.

Le bout du monde est sûrement une idée qui naquît à l'époque des grands romantiques. Adolescente – jeune adolescente – deux idéaux m'attiraient plus que tout : la solitude absolue des terres patagonnes et l'absolue célébrité des grands boulevards de New York. Je suppose que nous sommes fait de contraires et qu'il est parfois vain de les rassembler entre eux. Alors va pour la Patagonie, va pour New York : je prends et accepte les deux. Ces deux endroits, par ce qu'ils symbolisent dans l'inconscient collectif, me correspondent bien. Je ne suis pas vaniteuse, mais la gloire m'a toujours fait rêver. La reconnaissance, dit-on justement, pour ne pas paraître vaniteux aux yeux de tous. J'aime ce qui brille et j'aime briller. J'aime que l'on m'entende, j'aime exprimer ce que je suis et ce que je pense quand la bonne occasion se présente. J'aime militer même si j'en ai peu souvent l'occasion ; j'aime être photographiée et filmée, j'aime que les attentions se portent sur moi. Les petits moments de gloires de mon existence furent tous de grandes victoires contre ma paradoxale timidité.
Mais j'aime par-dessus tout le silence. Je crois que c'est en lui que naissent les plus beaux chefs d'œuvre de la littérature. Dans ce silence ecclésiastique ; et qui n'a rien de mortuaire, bien au contraire.
La glace m'inspire ce grand silence qui nous reconnecte au grand Tout. Je suis tombée par hasard sur une émission sur l'Antarctique il y a quelques jours. Une femme parlait de la banquise. Elle disait : « C'est tellement silencieux que l'on peut entendre son cœur battre. » Ce soir-là, un nouveau rêve est né en moi.

La Patagonie me semblait être le bout du monde et un refuge parfait contre mes propres tourments. Un petit havre de paix dont les glaces favoriserait la fertilité des pensées et des idées. Un retour, qui sait, au cocon du ventre maternel. Un endroit où le simple fait d'exister se suffit à lui-même. Vivre parmi les glaciers, les montagnes, l'eau et la solitude, non loin du Pôle : une mission encore plus difficile que de se faire idole parmi les idoles.
Parce que je me crois sage, le temps a fait que la Patagonie a pris plus de place dans mon cœur que la ville de Wall street. J'ai vu New York, par deux fois : elle ne m'a pas émue. Rarement une ville – pourtant si aimée de tous ! – ne m'a autant portée à l'indifférence. Mon goût des chichis et des paillettes ne m'a néanmoins pas quitté. J'attends toujours – patiemment – la gloire.

Mais la Patagonie n'est pas le véritable bout du monde. Il m'a fallu beaucoup de temps pour me rendre compte de cette évidence. Mon rêve exclusif de bout du monde, indépendant de mon rêve de Patagonie, existe bel et bien lui aussi. Et pour cela, il y a le Pôle. Ou plutôt, les Pôles.

J'avais seize ans quand le cercle polaire s'est immiscé par mégarde dans le monde de mon imagination. Seize ans et – malheur ! – déjà très sérieuse.
C'était à Noël. J'y pense : quoi de plus formidable que de faire connaissance avec le Pôle une veille de Noël ? Ce n'était pas tout à fait Noël : c'était la veille, ou plutôt l'avant-veille. Un gros colis posté pour moi du bout de la France. Seize ans et des yeux d'enfants : j'ai déballé le paquet comme s'il contenait tout un tas de merveilles. Mais c'était le cas, oui, c'était sûrement le cas. J'étais émerveillée de tant de trésors.
Il y avait ce film : Les amants du Cercle Polaire. En y repensant, je trouve beau chacun de ces mots, et la combinaison des deux syntagmes les rend d'autant plus beaux. Les amants. Le cercle polaire.
C'est un très beau film. Un film qui m'a ému, et que je tiens aujourd'hui parmi mes préférés. L'état d'esprit dans lequel j'étais alors ne m'a fait que l'aimer encore un peu plus.
Il y a cette très belle scène où un coucher de soleil finlandais – à moins que ce ne fût un lever ? - est filmé. Anna est face à ce spectacle. La voix d'Otto – l'amant – fait un récit très beau qui coordonne parfaitement avec les images. Cela comme ainsi : « Il est bon que nos vies progressent en cercle. » Je ne me souviens plus du reste. Mais je sais que cette phrase m'a émue et continue de m'émouvoir, quatre ans après.
C'est ce que la littérature, ou tout simplement le langage, a de plus mystérieux. Une phrase peut nous émouvoir sans que l'on sache vraiment pourquoi. Les vers de Racine peuvent laisser indifférent toute une génération, mais la petite phrase d'un film, par sa solennité et les images qui l'accompagne, peut bouleverser une âme.
« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » (Les animaux malades de la peste - La Fontaine). Je me souviens du jour où Mademoiselle Poulet nous a dit que ce vers de la Fontaine était pour elle un des plus beaux vers de la littérature française. J'ai d'abord trouvé ça surprenant, et j'ai ensuite pensé : Pourquoi pas ? L'origine d'une émotion, surtout en littérature, est inexplicable.

Comme je le disais, c'est à partir du visionnage de ce film – vu et revu tant de fois – que j'ai commencé à penser au cercle polaire. La littérature se fit chair pour la jeune romantique que j'étais et suis toujours : moi aussi, un jour, dans le froid polaire j'attendrai un amant. J'aime ce froid qui ressoude les cœurs au lieu de les briser. J'aime ce froid qui rappelle à notre mémoire que nous ne sommes pas immortels. J'aime ce froid qui unifie les hommes en temps de guerre. Et moi aussi, un jour, je veux avoir froid.

Il faut que j'aille là-bas. Ca y est, il était né, le rêve. Maintenant, le subjonctif d'une possible évasion c'était transformé en l'impératif d'un prochain voyage. Il faut, il le faut. C'est une certitude : j'irai un jour dans le cercle polaire.

Pour être tout à fait honnête, la possibilité d'aller dans le Pôle ne m'ait pas apparu comme allant de soi. Le véritable bout du monde, tout en haut, m'a toujours semblé inaccessible. On peut s'en rapprocher, certes, mais est-il possible d'aller véritablement tout là-haut ?
Sans que j'y prenne garde, un bout de mon rêve s'est réalisé quelques années plus tard. J'ai approché les icebergs, j'ai approché le cercle polaire main dans la main avec l'amant. Je sais la sérénité qui règne dans les grandes terres désolées d'Islande ; je sais le sentiment d'absolu qui se dégage lorsque l'on fait la rencontre de son premier iceberg, puis d'un océan d'icebergs à la dérive, semblables aux beaux et grands navires de Baudelaire.

Ces beaux et grands icebergs, imperceptiblement balancés (dandinés) sur les eaux tranquilles, ces robustes icebergs, à l'air désoeuvré et nostalgique, ne nous disent-ils pas dans une langue muette : quand partons-nous pour le bonheur ?

Oui, à peu de choses près, il me semble que le murmure des glaces ressemble à celui des beaux navires baudelairiens. Et elles pleurent, les glaces ! Ô combien pleurent-elles, les douces enfants de mère Nature...
Désoeuvrées et nostalgiques, oui. Elles le sont. Elles le sont déjà.

Les glaces et le Pôle – réels et sensibles – s'ancrèrent un peu plus dans ma mémoire, mais me paraissaient, toujours, inaccessibles.

Le Testament des Glaces m'a peut-être fait comprendre que le Grand Nord n'était pas que la terre glacée de farouches Inuits, mais aussi le refuge sacré de voyageurs et scientifiques. Ah ! C'est sans aucun doute dans ces moments là que je regrette de ne pas être moi aussi une grande scientifique. On justifie les voyages polaires au nom d'explorations scientifiques essentielles, mais qu'en est-il des écrivains en quête de supplément d'âme ? L'enjeu me semble tout aussi important. Combien de chefs-d'œuvre pourraient naître dans la seule présence du Grand Blanc ?
Faulkner : « Le jour où les hommes cesseront d'avoir peur, alors ils recommenceront à écrire des chefs-d'oeuvre, c'est-à-dire des oeuvres durables. »
Peut-être qu'une telle excursion, pour une vie polaire de quelques mois (ou quelques années ?), ferait du bien aux âmes mortes et à la littérature. Il reste encore des endroits sur Terre où la nature est pure et le silence total. Mais jusqu'à quand ?

Quand dans un livre une page m'intéresse particulièrement, je la corne pour pouvoir la retrouver facilement, et éventuellement la recopier pour les gens qui me lisent. Je crois avoir corné presque la moitié des pages du Testament des Glaces. A la fin de ma lecture, confortablement installée dans le canapé de notre maison vénitienne, j'ai ressenti un grand sentiment de joie. Il était tard, j'étais seule, et mon esprit s'est apaisé, soudainement. J'ai pensé au Spitzberg, qui m'était alors parfaitement inconnu, et à ce qu'il représente pour tant de personnes. Le souvenir de la mer d'iceberg m'est revenu. Il existe donc un endroit dans ce monde, plus haut encore que la Patagonie, où l'on peut naviguer seul au milieu des glaces ; non loin des ours et des animaux sauvages. Le véritable bout du monde, il est là-bas.

Le Spitzberg. En moins de trois mois, ce nom a croisé mon chemin trois fois. Un prof de Champfleury s'y est rendu cet été. Et ce soir, je viens de regarder une émission qui en parlait. Un couple a vécu au Spitzberg, dans un navire nommé Vagabond, pendant cinq ans. La petite Léonie est née dans le Pôle. Ces trois individus vivaient là, au beau milieu de nulle part ; quatre mois dans la nuit noire et les aurores boréales, huit mois dans l'éblouissante clarté des glaces. La petite fille était tout simplement adorable. Quoi de plus formidable que de naître loin de tout, à l'abri des horreurs du monde ? Dans la paix, dans la douceur hostile des glaces.

Comme je le disais tout à l'heure, j'ai vu aussi un reportage sur l'Antarctique. On entend battre son cœur, disait-elle. Sur les images, cette grande étendue blanche et des animaux de toutes sortes. Je rêve d'enlacer un pingouin, d'embrasser un phoque, de croiser le regard d'un ours. Et par-dessus tout, je rêve d'entendre mon cœur battre.
Ce soir je pense aux Pôles, à ce qu'ils représentent désormais pour moi. Et je m'en fait le serment : un jour, j'irai au Pôle Nord ; et un autre jour, au Pôle Sud.

Eclosion du rêve polaire. 1/2 15/09/2012 à 21:05
J'ai lu jusqu'à la 3eme ligne I Mr. Green
Eclosion du rêve polaire. 2/2 15/09/2012 à 21:12
Ah voilà j'ai tout lu.
J'ai pas tout compris mais t'ecris très bien, et c'est beau d'avoir des rêves.. Surtout quand ils se réalisent.

PS: Je rêve aussi d'enlacer un pingouin.
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