Ode au Poète.

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Ary666 Ode au Poète. 1 18/09/12 à 17:00

En relisant ma lettre à Dieu, j'ai compris où était la faille. La faille est ici : Dieu n'existe pas – ou du moins s'il existe, il est mort. C'est exactement cela. J'écris une lettre, j'y mets tout mon coeur, je proclame mon amour grandissant à un concept qui se nomme Dieu et qui n'est autre que la métaphore magnifique de ce que l'on pourrait appeler abusivement l' « Absolu ». Je m'adresse à Dieu alors que je ne crois pas en lui. Voilà tout le drame de l'Homme, et surtout de l'Homme dans son humanité la plus extrême : le poète.

Voilà quelques jours que je ne cesse de penser au Poète – je parle du vrai Poète, celui dont parle Alfred de Vigny. Il n'en existe pas d'autres ; tout poète ne correspondant pas exactement à la définition de Vigny n'est pas poète. Soit c'est un imposteur, soit il y a abus de langage et il s'agit « simplement » d'un écrivain. Je ne suis pas poète, je ne peux pas l'être – d'ailleurs, existe-t-il sur Terre une jeune fille ou une grande dame pouvant prétendre à ce nom ? Je ne le crois pas. Bénédiction ou malédiction que de ne pas être Poète ? Bénédiction : à lui seul, le Poète ne saurait se donner que la mort ! Malédiction : Qui, sur cette Terre, éprouve le plus honnêtement et le plus profondément les émotions humaines ? Qui, sinon le Poète ?

Et c'est bien là son grand drame. Rien ne peut combler son néant, pas même une femme ! Le Poète est là, vagabond, en errance, en perpétuelle errance. Son coeur est rarement plein. Il fait l'expérience du vide à chaque instant ; donnez-lui un instant d'apaisement et il vous aimera. Apaisez son coeur en lui disant ces mots : « je t'ai compris ! ». Mais qui pour le comprendre ? Personne. Il est condamné à la solitude. Il n'a qu'une amante véritable – seul feu de sa Passion : l'écriture.

L'écriture du Poète n'est pas le fruit d'un labeur ou d'un effort ; non, elle est le résultat d'une grâce. Elle est un message que le Poète reçoit par des voies célestes, par des voies impénétrables. Soudain, tel un sursaut, il lui est donné un instant de grâce absolue ; la Vie lui apparaît limpide, sublime, entière ; à cet instant il est heureux, il ressent sa plénitude, il ressent Dieu. Qu'écrit-il ? Il ne le sait pas lui-même. Est-ce seulement lui qui écrit ? Il vous répondra que non ; ou peut-être que si ; il ne le sait pas vraiment.
Il est heureux, le Poète, quand il écrit. Sa vie prend un sens. Sa vie n'est pas vaine. Il n'est bon qu'à ça, il ne peut être que cela : écrire et être Poète.
Avons-nous une essence ? Si le Poète en a une, pourquoi ne serait-ce pas le cas des autres hommes ?

Mais ces instants de grâce, il ne peut les faire vivre à chaque minutes de son existence. Il connaît le monde, il connaît tout trop bien et trop profondément ; il est bien trop lucide et éveillé pour vivre. Il survit tout au plus. Rien ne fait battre son coeur comme il devrait battre. Tout divertissement lui devient vite insupportable dès lors qu'il comprend que ce n'est qu'un jeu. Le Poète ne joue pas, il ne veut pas jouer ; il veut simplement vivre. Quoi pour le faire vivre ? Rien ne le fait frissonner, il ne trouve Dieu dans aucuns détails si ce n'est dans l'écriture. Et voilà qu'il est maudit ; et voilà qu'il se maudit lui-même ; et voilà que la société le maudit. Que fait-il ? Rien. Il écrit. Il écrit pour vivre, il écrit pour exister. Ah ! Pauvre Poète ! Beauté de son existence, vanité de sa condition ! Qui pour le faire vivre, qui pour l'entretenir, qui pour assouvir son inatteignable désir d'Absolu ?

Voilà qu'il doit travailler, qu'il doit porter un masque, qu'il doit partir à la guerre et se perdre dans les jeux et les affaires ; horreur du compromis, supplice de la demi-mesure ! Mais sauvez-le donc, le Poète, sauvez-le donc !
Que lui reste t-il à part la Mort ? La Mort, n'est-ce pas dans ses bras que l'on trouve Dieu ? Quel état plus absolu que celui du mort ?

Vingt ans à peine et il pense au suicide comme on pense à la grâce ; les plus optimistes se jettent dans ses bras, les plus pessimistes n'osent croire qu'ils trouveront le repos dans ce grand néant. Poète trop enfant pour vivre dans un monde d'adultes ; Poète trop lucide pour vivre dans un monde d'enfant.
Soixante ans et il regarde son existence avec la mélancolie des femmes ; il va et vient, absent à lui-même – qu'a-t-il donc fait dont il puisse être fier ? Il a aimé quelques maîtresses, il a vogué par delà les océans, il a enseigné ce qu'il savait ou tout du moins ce qu'il était ; il a embrassé Dieu à chaque instant qu'il a pu sans jamais pourtant le voir tout entier. Misère, solitude, ennui, inconstance. Qu'il est triste d'être Poète.
Puisse t-il être fier de ses mots, de sa résistance vaine ! En est-il seulement fier ? Porte t-il son fardeau comme on enlace une fierté ? Il n'a nulle fierté, il survit simplement. Toute votre pitié sur le Poète, tout votre amour sur le Poète. Toute notre grandeur sur le Poète.

Il vous montrera ce qu'il écrit, et vous ne trouverez rien d'autre à répondre que cette horrible phrase : « Que c'est beau ! Quel talent ! ». Non Madame, ce n'est ni beau ni talentueux : le Poète n'a aucun talent, il a juste du génie, il porte juste son génie comme Jésus porte sa croix. Vous ne comprenez rien à sa souffrance ; moi-même je n'y comprends rien, je la perçois simplement de trop loin.
Est-ce beau ? Il n'y a beauté que pour le Poète, et peut-être parfois pour ses confrères, et encore, pas toujours. Se comprennent-ils entre eux, au moins ? Au moins cela, s'il vous plaît ! Au moins cela pour vaincre la solitude du Poète, ou du moins pour lui donner l'illusion de la vaincre.

Que comprennent les gens à Baudelaire, à Lautréamont, à Vigny et aux autres ? Tant de poètes sont morts pour que vive Dieu, tant de poètes sont morts pour la Beauté ! Mais nous n'y comprenons rien, mortels dont la mort est déjà dans la vie, nous n'y comprenons rien et ne pouvons rien y comprendre, et cela pour une raison très simple : nous ne sommes pas poètes. Seul le Poète comprend le Poète. L'écrivain, le véritable, l'approche souvent ; il l'aime et l'admire, mais ne le comprend que partiellement.
Il lui dit : « Réveille toi ! »
Le Poète lui répond : « Je suis pleinement éveillé, c'est pourquoi je pleure ! »
L'écrivain, idéaliste, insiste : « Entre en résistance, pauvre fou ; ou tu mourras ! »
Mais le Poète persiste dans son aveugle lucidité : « Mais n'as-tu donc pas entendu dire que Dieu est mort ? »

Folie de l'écrivain que de se battre encore, malheur de l'écrivain que de brûler encore pour une quête vaine ! Mais c'est là qu'est tout son bonheur, c'est là qu'est toute sa sagesse et toute sa grandeur ; dans cette folie saine, dans cette grande santé, dans cette obsession de croire en la Vie, en la Beauté, en Dieu lui-même malgré sa mort !

Heureux l'écrivain qui rêve encore dans l'éternel songe ; malheureux le Poète trop lucide sur sa condition d'homme.

Poète, prend exemple sur la petite fille ; elle n'est que ton reflet, elle est ton paradis perdu à jamais. Regarde comme elle s'émerveille devant la mer, regarde comme elle joue avec les anges, regarde comme elle aime sa mère ; regarde la vivre et inspire-toi d'elle. Redevient elle.
Tu ne le peux pas ? Tu es trop lucide, maintenant ? Tu es trop homme ?
Fais l'effort, fais l'effort de trouver l'Absolu dans les détails ; aime une femme et crois en elle, chante et délecte-toi du chant des autres, danse et Dieu dansera avec toi.
Tu ne crois pas en Dieu ? Tu ne crois pas en l'Homme ? Tu ne crois pas en toi ? Tu ne crois plus au monde, pauvre enfant ?
Alors va, cher ange, va Poète maudit des hommes, va enfant perdu à jamais ;
Réalise-toi dans ce que tu es pleinement ;
Désespère et meurs.

Heureux le Poète qui réapprend à croire.


*

Quand je désespère, je me souviens que tout au long de l'histoire la voie de la vérité et de l'amour a toujours triomphé. Il y a eu dans ce monde des tyrans et des assassins, et pendant un temps ils peuvent nous sembler invincibles, mais à la fin, ils tombent toujours. Pense à cela. Toujours.
Gandhi.

Ode au Poète. 1/1 18/09/2012 à 18:12
C'est dans c'est rare moment ou j'suis fière de moi. Fière d'avoir tout lue. *w*
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