Je regrette tout (nouvelle)

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Antigone_   Je regrette tout (nouvelle) 5 19/12/07 à 19:44

JE REGRETTE TOUT

A l'aube de la soixantaine, il ne me reste de l'enfance que des bribes de souvenirs insouciants. Hier, je suis tombé sur un album photo datant de 1970. Quel choc de contempler ces images figées dans le temps, ces frimousses béates, ces joues rondes et ces genoux crasseux...
Nous avions cinq ans.
Nous ne connaissions ni la drogue, ni la rue, ni les larmes. Excepté ces chagrins d'enfants et ces larmes de crocodiles, dus à des sensibilités et des caprices mal placés. Un rien nous émerveillait : un papillon posé sur le bout de nos doigts boudinés, un coquelicot qui s'ouvrait, et ces bêtes à bon dieu rouges et noires. A l'époque, ces couleurs ne représentaient pour nous que des nuances criardes, et non les étendards de nos deux plus grands ennemis politiques... ces utopies passées.
Redites-nous que le temps sera beau !
C'était le temps des coccinelles.
Nous nous amusions à rouler dans l'herbe tendre du jardin de nos parents, et nous riions aux éclats en titubant comme les ivrognes que nous serions bien plus tard. Nous ne nous inquiétions de rien, le bonheur dansait sur nos sourires et l'insouciance scintillait dans nos yeux pétillants de malice.
Une autre photo. Des visages souriants, des cheveux herrissés et des habits déchirés.
Nous avions dix ans.
Nous ne connaissions ni la police, ni la loi ni les armes. Notre seule peur était le noir ; mais nous réfrénions cette phobie. Nous sommes des garçons, et les garçons ne doivent pas faiblir, les garçons ne doivent pas pleurer, les garçons ne doivent pas avoir peur. Les garçons sont là pour tirer les cheveux des filles, décapiter leurs poupées et soulever leurs jupes.
Nous étions à l'école, en primaire. Les devoirs n'étaient pas trop compliqués et nos bulletins se portaient à merveille ; papa et maman étaient fiers de nous.
Je me souviens de cette fois où je m'étais battu contre le grand Bastien parce qu'il t'avait volé des billes. Il m'avait donné la raclée de ma vie, mais j'étais heureux malgré la douleur. Car il y avait cette fille... je crois qu'elle s'appelait Mélissa. J'avais vu de l'admiration étinceler dans ses yeux d'un ravissant marron noisette. Elle était si jolie !
Il y avait eu ce premier baiser, les yeux fermés, à l'écart dans la cour de récréation.
C'était le temps des dernières insousiances.
Je suis tombé sur une autre image, datant de l'époque de mes quinze ans. Il était bien fini, le temps des coccinelles... le teint pâle, les yeux rouges, j'avais l'air d'un malade de longue date à qui on vient administrer une perfusion. Ce temps était bien moins réjouissant. J'étais entré au lycée et ma route semblait toute tracée, du moins d'après mes parents : je suivrais une filière ES et entrerait en fac de Droit. Cela leur semblait évident, mais mon rêve à moi, mon ambition secrète, était de devenir comédien. Toi, tu avais toujours d'excellentes notes et un large cercle d'amis. Nous étions devenus rivaux. Toi la lumière, moi l'ombre. Toi le jour, moi la nuit, toi le gagnant, moi le perdant, toi le sociable, moi l'insociable. Je te haïssais !
Mes camarades me détestaient, parce que je n'étais pas comme eux. Moi, je n'aimais pas les filles...
Mes mains se sont mises à trembler en tombant sur l'image suivante.
Mon corps tout entier semblait rayonner du bonheur retrouvé. Le rideau de velour rouge relevé, je me tenais sur la scène de théâtre. Première et dernière où je serais monté sur les planches...
J'avais fait un casting et décroché le premier rôle dans Othello. Je me souviendrais toujours de ma joie lorsque l'ensemble des spectateurs s'était levé et avait bruyamment applaudi, durant près de dix minutes. J'avais alors dix-huit ans... la photo avait été prise par ma tante, la seule de la famille à m'encourager sur le chemin de comédien.
Puis j'avais croisé le regard empreint de déception de mes parents, et j'avais renoncé.
Une autre photo. Je posais avec mes parents et adressais un signe de main à l'objectif... mais mon sourire m'a semblé quelque peu forcé. J'avais vingt-deux ans et venait d'achever des études de Sciences-po, à la fac des Lumières de Lyon 2.
L'avant-dernière photo est apparue. Le visage austère et creusé par quelques rides, j'étais devenu maire d'une petite commune insignifiante, en banlieue de Lyon. Assis à un bureau flambant neuf, j'arborais la petite mine satisfaite du vainqueur. Des bannières et des sigles aux couleurs bleues du parti politique auquel j'avais adhéré à vingt-cinq ans agrémentaient les murs. J'avais alors quarante-sept ans.
Enfin, la dernière image. Les yeux soulignés de cernes grisâtres, le teint presque opalescent et le visage strié d'innombrables rainures, j'ai une mine de déterrée.
En vérité, ce n'est pas une image. C'est mon reflet dans le miroir.
J'aligne toutes ces photos ; elles représentent ma vie, mes seuls souvenirs. Dieu sait que j'en ai bavé pour en arriver là. Je suis ministre.
J'ai un compte en banque bien garni et quatre ou cinq résidences secondaires ; et je ne paye pas d'impôts. De nombreux hommes m'envient ma situation.
Et pourtant je regrette tout. Je n'ai pas eu ce que l'on peut appeler une vie intéressante. Tout ce que j'ai bâti, tout ce que j'ai vécu se résume à un seul mot : travail. Ais-je accompli la mission pour laquelle on m'a donné la vie ?
Je regrette tout. Il est si loin, le temps des coccinelles... et il y a bien longtemps que je ne vois plus de formes dans les nuages.
Je crois que je suis sur le point de mourir.
Je regrette tout.

Actualité : Le ministre de la Culture a été retrouvé mort à son domicile, aux alentours de sept heures du matin. L'inspecteur chargé de l'enquête nous déclare : Aucune thèse n'est écartée, ni celle du meurtre ni celle du suicide. Tout ce que je peux révéler à ce stade de l'enquête, c'est que le ministre a absorbé, volontairement ou par erreur, un puissant somnifère qui n'aurait pas dû lui être fatal...

Rien ne va plus.
Les jeux sont faits.
Rien ne va plus.
Rien ne va plus.
CARPE DIEM



J'ai écris ce truc hier soir, assez tard, et n'ai pas pris la peine de relire avant de le poster ici. Vous me pardonnerez donc les erreurs d'inattention...
Qu'est-ce que vous en pensez, sincèrement ? Du point de vue du récit surtout, je n'ai pas écris cette nouvelle avec un vocabulaire très soutenu.

Je regrette tout (nouvelle) 1/5 19/12/2007 à 19:49
Comme d'hab, j'adore... Coeur
Je regrette tout (nouvelle) 2/5 19/12/2007 à 20:01
vraiment pas mal ;ma petite critique : je pense que tu aurais du essayer de mettre plus de profondeur à l'ambiance de la scène et ralentir un peu le rythme ; sinon du point de vue reçit, c'est ce qui est le mieu reussi je trouve ; la fin tu aurais pu couper a "je regrette tout" .
enfin voilou , surtout continue ;)
Je regrette tout (nouvelle) 3/5 19/12/2007 à 20:11
J'aime.
Tw.   
Je regrette tout (nouvelle) 4/5 19/12/2007 à 20:14
Coeur `
Je regrette tout (nouvelle) 5/5 19/12/2007 à 22:21
Merci à tous d'avoir pris la peine de me lire !

Volacs a écrit :
vraiment pas mal ;ma petite critique : je pense que tu aurais du essayer de mettre plus de profondeur à l'ambiance de la scène et ralentir un peu le rythme ; sinon du point de vue reçit, c'est ce qui est le mieu reussi je trouve ; la fin tu aurais pu couper a "je regrette tout" . enfin voilou , surtout continue ;)


Merci, je pense que tu as raison sur la plupart des points ; en relisant il me semble effectivement que je suis allée trop vite, mais j'avais vraiment envie d'écrire sur ce sujet (l'enfance révolue, le regret...) qui me tient beaucoup à coeur, et je n'avais pas beaucoup de temps. Peut-être que je reprendrai le récit pour l'améliorer, mais il ne semble pas le mériter, ce n'est qu'une petite nouvelle guère importante. Mmh, selon mon point de vue, le dernier paragraphe me semble approprié, afin de clore la nouvelle... En tous les cas, merci.
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